Kikue était en plein atelier calligraphie quand un serviteur s'annonça. Tellement absorbée par ses traits d'encres la jeune noble sauta sur ses pieds et faillit se prendre les pieds dans sa robe de soie en se précipitant vers le panneau coulissant qu'elle ouvrit avec vigueur. Le domestique, surpris, eut un geste de recul avant de se reprendre et d'annoncer l'objet de sa venue :

«  Une missive de la Cité Impériale pour Mademoiselle. »

Sans plus de manière, Kikue saisit la lettre d'une main fébrile. Si la réunion avait mal tourné ? Si son oncle ne pouvait revenir dans l'imédiat ? Si … Trop de si. La jeune femme était de nature angoissée, traumatisée par la perte des gens qui l'entouraient. Faisant sauter le cachet, elle ouvrit le papier et parcouru l'écriture hachée de son guerrier d'oncle. N'y lisant aucune mauvaise nouvelle, elle reprit la lecture, plus au calme afin de saisir le sens des phrases.
Jinpachi Mogami lui demandait de le rejoindre dans les plus bref délais au Labyrinthe de Meikyu, où une mission de l'Empereur lui même l'attendait.
La jeune noble ne put cacher un sourrire de satisfaction jubilatoire. Son oncle avait besoin de son fidèle étalon, entre autres, et ormi lui, seule Kikue avait la capacité de le monter. L'étalon avait blessé plus d'un des meilleurs cavaliers de l'armée et ne se laissait bien monter que par les deux Mogami. Jinpachi n'avait donc autre choix que de le faire amener par sa nièce. Kikue allait sortir de Kazan et partir en quête, à la demande de son oncle...

Laissant sortir sa joie par une répétition de « Oui ! » chuchoté, elle quitta la pièce de calligraphie sans plus d'explication pour aller prévenir celui qui assurait la régence du clan en l'absence de Jinpachi.
Elle n'eut aucun mal à le trouver et l'informa de la missive. Aussitôt, il prit les dispositions nécessaires. Ne tenant plus en place, Kikue descendit dans les armureries du château et s'empara d'une armure légère. Elle n'avait pas besoin de fioritures, le seul fait qu'elle soit une femme la distinguerait des autres. Elle remonta ensuite dans sa chambre et sortie de sa cachette le kusarigama qu'elle avait pris lors de sa première « fuite ». Puis elle rejoignit le reste de la troupe qui l'accompagnerait aux écuries.

Entre les boxes et l'armurerie, il régnait déjà une atmosphère électrique. Kikue sentait déjà la sueur et le cuir mêlé à l'odeur de paille et de crottin. Elle se sentait plus que bien. À la fois euphorique et angoissée par ce qu'ils allaient traverser. Rapidement, elle sella l'Etalon et passa un licol à la jument gris fer qu'elle considérait désormais comme sienne. Tenant Hada-Haku par la bride, un soldat vient lui proposer de s'occuper de la jument à sa place mais la jeune fille refusa. Sa jument, Son problème, Ses solutions.

La petite troupe se mit en chemin assez rapidement, Hada-haku et la nièce en tête. Hirano suivait l'Etalon de tête de près et ce dernier était tout émoustillé de sentir la jument aussi proche de lui. Il dansait sur place, amusant Kikue qui le laissait faire quelques minutes avant de prendre la mouche et de le remettre à sa place d'un coup de talon :

« ça suffit Hada. »


Le groupe arriva au point de rendez-vous à l'heure. Hada marchait d'un bon pas, et la troupe avait filé bon train. Kikue arrêta l'étalon à quelques mètres de son propriétaire qu'elle salua d'un signe de tête. Il lui tendit une main pour la faire descendre, mais Kikue l'ignora et enleva les pieds des étriers avant de lancer sa jambe droite par dessus la croupe de l'étalon et d'atterrir en souplesse sur le sol. Pendant que son oncle faisait un court point sur leur mission, Kikue détacha sa jument de la selle de l'étalon, lui passa la bride avant de la ressangler. Une fois de nouveau en selle, la jeune noble eut l'impression de monter à poney. La jument était bien plus petite que l'Etalon, et plus courte. Mais elle n'en serait que plus maniable, et moins repérable.

Lorsque son oncle se retourna vers le clan qui serait leur allié d'un jour, Kikue adressa un signe de tête en guise de salut. La mine sérieuse, elle prenait cette sortie très au sérieux. Toute Mogami qu'elle était, elle irait jusqu'au bout, et rentrerait à Kazan la tête haute.

La jeune noble trépignait intérieurement. L'aventure, le danger, les recoins sombres où se cachent on ne sait quelle créature féroce... Elle allait enfin connaître.
Seulement, Kikue déchanta rapidement quand son oncle lui donna ses consignes. Elle ne réagit pas tout de suite, le temps que son cerveau analyse chacun des mots qui venaient d'être prononcés. Il refusait qu'elle les accompagne. Besoin d'elle pour surveiller les chevaux ? Nan mais à quoi la croyait-il bonne ? Juste à faire la pitre, désobéir de temps à autres, et ramener son étalon quand il en avait besoin ? Oui. Voilà. Elle était une ecuyère, une palefrenière, un vulgaire garçon d'écurie un peu rebelle de temps à autre.
Fulminant de colère, et retenant moult insénités qu'elle ne se serait pas privée de déballer en d'autres circonstances, son regard était noir, un noir profond qui aurait englouti toute la lumière du monde s'il avait pu. Telle une vipère que l'on avait délogée de son rocher, la nièce siffla sur son oncle de manière à ce qu'il comprenne bien ce qu'elle ressentait :

« Ravie de vous servir de domestique... Mon oncle. »

Dans ses deux derniers mots, la jeune femme y avait mit toute la colère qu'elle pouvait contenir.

Certes, la visite impromptue de Kikue à sa discrète rencontre avec la Dame des Morts avait plus que déplut à Jinpachi, et il le lui avait bien fait comprendre. Mais aujourd'hui le contexte était totalement différent. IL lui avait demandé de lui amener Hada-Haku. IL l'avait invitée à venir. Certes elle était la seule en dehors de lui à pouvoir monter l'étalon sans risquer de tomber, mais il n'avait pas le droit de l'inviter pour la mettre à l'écart à la première occasion.
Pire que dans son amour-propre, Kikue se sentait offusquée, blessée que son oncle n'ait pas plus confiance en sa maturité. Elle n'était plus une enfant que diable ! Mais l'impression qu'elle avait parfois venait de lui être confirmée avec la violence d'une claque en pleine figure. Elle n'était plus une gamine, mais son oncle ne le voyait pas... ou se refusait de la voir telle qu'elle était devenue.

Prenant les rênes de l'Etalon, elle regarda son oncle et la petite troupe s'engager dans le sombre couloir d'un air mauvais. Un garde restait avec elle. La jeune noble lui jeta un regard dédaigneux puis soupira de lassitude.
Tout deux allèrent regrouper les chevaux dans les bois et s'assirent contre un arbre. Le regard baignant dans le vague, la voix monocorde et le visage inexpressif, elle s'adressa au garde :

«Dis. Qu'est ce que tu penses qu'il me fasse faire pour montrer à mon oncle que je ne suis plus une gosse de quatre ans. Et réponds moi franchement sans regarder la hiérarchie.  »

Comme elle s'y attendait un peu, le garde la regarda avec une expression signifiant qu'il ne pouvait répondre à sa question. Restée assise quelques secondes, Kikue ne parvenait pas à rester en place. Aussi, elle se leva et commença une ronde autour des chevaux qu'ils avaient rassemblés. Plongée dans ses pensées, elle ne remarqua pas tout de suitele bruit de rafus qui résonnait et sortait de l'antre de la grotte.
Ce fut seulement lorsqu'elle capta des pas précipité et la voix grave et sonore de son oncle qu'elle releva la tête. Les cheveaux commençaient à s'affoler, jetant brièvement un regard sur le garde qui s'était brusquement relevé et attrapait toutes les brides qui étaient à sa portée, la jeune noble reporta rapidement son attention sur l'entrée du labyrinthe. Deux soldats de son clan étaient postés d'un coté, un autre assistait son oncle de l'autre coté.
N'était-il pas entré dans la grotte avec 4 hommes ?

Saisissant l'arme qu'elle portait à la ceinture, Kikue se déplaça de quelques pas sur le coté, restant à bonne disance de l'entrée du tunnel. Quelque chose avait fait fuir ces hommes, ces guerriers aguérris, qui avaient pénétré les lieux. Un long sifflement sorti de la bouche béante, et s'éteignit progressivement. A l'oreille, Kikue devina que la bête s'éloignait. Un frisson lui avait hérissé les cheveux sur sa nuque, tandis qu'une lueur d'effroi pouvait se lire dans ses yeux.
Le seigneur Daidoji n'attendit pas plus longtemps pour pénétrer à nouveau dans le dédale de couloir. Kikue s'approcha de son oncle, et fit signe au soldat qui se tenait à coté de s'éloigner. Levant les yeux, elle planta son regard le plus franc dans celui de son oncle et commença d'une voix ferme,  mais calme et pas très forte :

« Je viens avec vous cette fois-ci. »

Sur ces simples paroles, elle s'engagea dans le souterrain sans même attendre une réponse. Qu'il le prenne comme il le voulait. Son choix était fait.

A la grande surprise de la jeune adulte, son oncle ne répondit rien. C'était à peine si elle avait l'impression d'avoir été écoutée. Enfin, elle n'allait pas s'en plaindre. C'était une prise de bec, et une désobéissance évitée.
Son kusarigama en main, les épaules relâchées mais tous ses sens aux aguets, la jeune noble avançait en silence à la suite du Seigneur du Nord, son Seigneur et oncle ainsi que les trois guerriers survivants sur ses talons.
Elle n'avait aucune idée de ce qu'ils avaient fuit, ni de ce qu'ils allaient affronter, mais étrangement, elle ne ressentait aucune peur ni appréhension. L'adrénaline avait des pouvoirs extraordinaires

Après avoir serpenté dans la roche, le sentier se divisait en deux. Sur le mur, une inscription qu'elle déchiffra à voix haute. Elle prit quelques secondes pour réfléchir. De toute évidence, c'était une énigme. Se retournant vers les deux seigneurs qu'elle regarda tour à tour, Kikue choisit:

"Je propose que nous restions sur cette allée, pour ne pas "changer de destin", ajouta-t-elle en citant l'inscription."

Sûre d'elle, la jeune femme continua tout droit.